En 2023, les femmes représentent plus de 48 % de la main-d’œuvre active au Vietnam, un taux supérieur à la moyenne mondiale. Pourtant, l’accès aux postes de direction reste limité, malgré des lois sur l’égalité des genres adoptées depuis plus de quinze ans.
Certains rites matrimoniaux persistent dans les campagnes, tandis que les grandes villes voient émerger de nouvelles formes de mobilité sociale féminine. Entre héritage confucéen et mutations économiques rapides, la trajectoire des femmes vietnamiennes révèle des écarts notables selon les générations et les milieux sociaux.
Un regard sur l’histoire : comment les femmes ont façonné la société vietnamienne
Depuis toujours, la femme vietnamienne occupe une place pivot dans la société vietnamienne. Les mythes fondateurs la mettent en scène bien avant les livres d’histoire. Prenez Au Co, déesse mère, qui avec Lac Long Quan enfanta cent enfants, ancêtres du peuple vietnamien. Puis Lieu Hanh, figure protectrice, veille sur femmes et enfants, inscrivant dès l’origine la présence féminine dans le patrimoine culturel immatériel du pays.
Les chroniques nationales racontent aussi des femmes qui n’ont pas hésité à s’imposer dans la sphère publique, parfois jusqu’au sacrifice. Les sœurs Trung, Trưng Trắc et Trưng Nhị, sont entrées dans la légende en 40 après J.-C. en défiant la domination chinoise. Leur courage les a élevées au rang d’héroïnes, célébrées chaque année, et leur mémoire s’impose au musée des femmes du Vietnam à Hanoï. D’autres noms marquent l’histoire : Ho Xuan Huong, poétesse frondeuse du XVIIIe siècle, qui n’a jamais mâché ses mots pour dénoncer les interdits sociaux, ou encore Nguyen Thi Chien, chef de guérilla et pionnière militaire, symbole de l’engagement féminin durant la guerre d’indépendance.
L’empreinte du confucianisme s’est imposée durablement : règles strictes, hiérarchies, soumission. Mais le code Hồng Đức du XVe siècle a, contre toute attente, ouvert quelques droits civils aux femmes. Un fait rare à l’époque, surtout en Asie. Par la suite, la période coloniale puis la révolution communiste ont rebattu les cartes, permettant l’accès des femmes à l’école, au marché du travail et à la vie politique.
Depuis 1930, l’Union des femmes vietnamiennes joue un rôle central. Derrière sa création, Nguyen Thi Minh Khai, exécutée par les autorités coloniales françaises, a donné le ton d’un engagement résolu pour l’égalité. Plus tard, Nguyen Thi Binh, négociatrice lors des accords de Paris, a porté haut la voix des femmes sur la scène internationale. Résilience, héritage et capacité à se réinventer : la femme vietnamienne incarne une force discrète mais déterminée, qui traverse le siècle et les bouleversements politiques.
Traditions, valeurs et réalités : quelles spécificités pour les femmes au Vietnam aujourd’hui ?
La famille vietnamienne est le pilier du pays et la femme vietnamienne en est le moteur silencieux. Son rôle, multiple et dense, structure le quotidien. Dans la campagne, elle participe activement aux travaux agricoles, gère les finances domestiques et veille à la transmission des coutumes. En ville, elle doit composer avec l’agenda professionnel, l’éducation des enfants et les attentes sociales, sans jamais lâcher la barre. La solidarité entre générations reste forte : l’aînée guide, conseille, transmet.
Le culte des ancêtres donne une dimension particulière à la gestion du foyer. Les rituels, confiés à la vigilance féminine, sont l’occasion de maintenir l’équilibre et d’honorer la mémoire des disparus. Cette responsabilité quotidienne façonne un esprit de résilience et d’autorité maternelle. Le musée des femmes du Vietnam à Hanoï met en lumière, par ses expositions, la diversité des façons d’être femme au Vietnam et son influence sur le patrimoine culturel immatériel.
Certaines minorités ethniques, Rhade, Ede, Bahnar, K’Ho, Jaraï, perpétuent la matrilinéarité. Ici, les femmes transmettent le nom, les biens, parfois même le pouvoir. Cette exception contraste avec la norme patrilinéaire du pays et offre une autre lecture du pouvoir féminin. La diversité culturelle du Vietnam, c’est aussi cela : une mosaïque de statuts et de rôles, oscillant entre traditions séculaires et adaptations aux réalités d’aujourd’hui.
Évolutions récentes et défis à venir pour la condition féminine vietnamienne
Ces dernières années, la condition féminine a connu de profonds changements. L’économie s’ouvre, les mentalités évoluent, et les femmes vietnamiennes investissent des espaces professionnels jusque-là réservés aux hommes. À Hô Chi Minh-Ville, Nguyen Thi Phuong Thao dirige Vietjet Air, symbole d’une génération qui prend les commandes. Vo Thi Anh Xuan, vice-présidente du pays, incarne elle aussi cette progression dans la sphère politique et la représentation des femmes au sommet.
Pourtant, tout n’est pas réglé. L’écart de rémunération persiste, et les stéréotypes sexistes collent à la peau. Dans de nombreux foyers, la violence domestique reste un sujet difficile à aborder. L’Union des femmes vietnamiennes continue son action de prévention et de sensibilisation, mais les tabous sont coriaces. Les plus jeunes voient parfois leur avenir différemment de leurs aînées, partagées entre aspiration à l’égalité et respect de l’héritage confucéen.
Quelques chiffres dessinent le tableau : près d’une entreprise privée sur deux est pilotée par une femme, mais cette proportion s’effondre dans les instances politiques ou les conseils d’administration. Face à ces enjeux, la société civile s’active. On observe une floraison d’associations, de réseaux de soutien et de programmes éducatifs pour faire reculer les préjugés et soutenir l’égalité des sexes. L’image de la femme vietnamienne s’étoffe, se nuance, et continue de surprendre, à mesure que la société vietnamienne se redessine.
La trajectoire des femmes vietnamiennes ne cesse de se réinventer, entre héritage ancestral et conquêtes d’aujourd’hui. Au Vietnam, chaque génération trace sa voie, oscillant entre racines et horizons nouveaux. Quelles histoires façonneront les femmes de demain ?
